dimanche 6 avril 2014

Her (Spike Jonze)

Joaquin Phoenix chez Spike Jonze. Inattendu mais plutôt excitant. Qui plus est, un Spike Jonze pour l'occasion sobre car libéré de ce barge de Charlie Kaufman (à l'écriture pour Dans la Peau de John Malkovich et Adaptation).

Une vision du futur (proche) assez épurée. Bienvenue à Gattaca voire The Island ne sont pas bien loin, c'est sûr. Moi, ça m'a surtout rappelé le futur fantasmé par Paul Verhoeven pour son Total Recall. C'est beau, c'est propre et sophistiqué. Le confort absolu. Jusqu'aux pantalons du héros : moches mais adaptés. Mieux qu'un cocon, mieux qu'un fœtus dans sa poche. Tout est parfait. Même la musique, qui n'est pas sans rappeler l'ambiance surnaturelle et indélébile de Spring Breakers, par exemple.

Un poil tristounet, Théodore, notre héros, vit seul mais n'est pas aussi déconnecté qu'on pourrait l'imaginer en voyant l'affiche et/ou en lisant le pitch.
D'abord, il travaille. Pour une boîte un peu spéciale, mais quand même. Il écrit des lettres sur commande, pour des gens, à leur place quoi. Amour, amitié, vœux divers, condoléances : pour leurs correspondances, certains choisissent en effet de faire confiance à des spécialistes, à ceux qui ont le temps et l'imagination nécessaires pour ce genre de trucs. Entre nous, des échanges dont la forme comme le fond peuvent poser question, surtout si les deux parties ont la même idée. C'est un détail, peu importe. Dans son domaine, Théodore est doué. Il a l'imagination et la sensibilité requis. Il a même sa petite réputation. 
Ensuite, il a au moins deux amis avec lesquels il partage ses secrets, ses peines, tout ça. Bref, il n'est pas coupé du monde; la journée en tout cas.
Le soir, par contre, c'est un peu différent. Il rentre seul. Alors, chez lui, il est libre de ressasser son passé douloureux (sa femme l'a quitté il y a quelques temps maintenant). Plus personne pour le freiner ni le distraire. Mais il lutte et s'occupe comme il peut. La technologie aide beaucoup : jeux vidéo grandeur nature, tchat porno, etc... Beaucoup de rêve, pas mal de superflu, rien de concret. Il s'endort. Une journée-type.


Regarde pas les pubs, idiot!
L'intrigue se dévoile assez vite puisque, lobotomisé par une pub qui tombe à pic, il décide d'aller plus loin en se payant une compagne virtuelle. Une voix intelligente plus exactement  (celle de Scarlett Johansson, on reste dans le confort et la perfection, hein) qui s'adapterait à la personnalité et aux besoins du client. Sur le papier, c'est en effet la partenaire parfaite.
Théodore, naturellement, et parce que le produit est suffisamment pensé et mature, oublie assez vite la machine et commence à partager davantage avec cette voix. D'abord, entre eux, il n'y a qu'un lien fonctionnel (relevé des mails, planning, etc...) : une secrétaire parfaite et intelligente, qui a toujours un temps d'avance, qui prend des initiatives pertinentes,.. Puis, très vite, naît une complicité  : elle est drôle, elle le comprend, elle est à l'écoute, tout en donnant un peu d'elle. Enfin, et inévitablement, ils tombent passionnément amoureux l'un de l'autre. Ils ne peuvent plus se lâcher. Ils se manquent. Ils s'appellent souvent. Ils sont sur leur petit nuage. Un vrai petit couple. On gobe volontiers. Même cette scène fantastique durant laquelle leur amour passera brièvement de deux à trois participants. Tout ça est bien fait et sincère.
J'ai pensé à Une Fiancée pas comme les Autres de Lars Lindstrom, un film dans lequel Ryan Gosling partageait sa vie pathétique avec une poupée gonflable. Là aussi, c'était inapproprié. Là aussi, on s'attachait. Deux bonnes idées.

Ce film, très intelligent, semble dénoncer beaucoup de choses, et notamment les tendances individualistes de la société actuelle. Le repli sur soi, la peur de l'autre, un égoïsme ambiant, l'exigence toujours plus grande des uns et des autres (il faut le voir filtrer les appels à l'aide sexuels), l'hyper technologie, le principe de précaution, les névroses toujours plus nombreuses, le calcul, ce besoin trop naturel du retour sur investissement (Olivia Wilde très convaincante dans son passage). Bref, tout cela est bien montré. Et c'est effrayant.
Mais, selon moi, le vrai intérêt du film est le rapport à l'amour de Théodore. Notre rapport à l'amour. Le personnage interprété par Amy Adams (touchante et sincère) le dit très bien : "I think anybody who falls in love is a freak. It's a crazy thing to do. It's kind of like a form of socially acceptable insanity". On sait tout ça. Car, bien malheureusement, on l'a tous appris par l'expérience. Et pourtant, dès que l'occasion se présente, on s'engouffre une nouvelle fois dans la brèche. C'est l'esprit de la très belle chanson de Yodelice "Familiar Fire". Ce truc, ce sentiment, cette sensation, cet amour nous fait faire n'importe quoi, les choix les plus fous et les plus irrationnels. Il nous rend dépendant, il nous coupe de tout ce qui nous tenait éveillé avant lui (les amis, les activités), on oublie tout le reste, le monde s'arrête. On se déconnecte. Surtout au début...

Dans le film, une scène magique en est le symbole magistral : quand, pendant quelques minutes, le héros croit avoir perdu son amour virtuel (sa voix), quand la machine ne répond plus comme elle le faisait jusque là. Alors, il panique, il suffoque, comme s'il se noyait. Et le paradoxe est bien là car il a lui-même construit cette dépendance, il l'a même achetée. Le personnage de Amy Adams a raison, l'amour n'est que folie.
Et puis, il y a cette remarque profondément intelligente de Samantha : "The heart is not like a box that gets filled up; it expands in size the more you love". Une doctrine anti-simpliste et à mille lieux de la pensée unique. Une remarque qui, si elle se répandait, ferait énormément de mal à tous ceux qui ont fait de leur conjoint leur seul et unique objectif.
Un très bon film avec une fin digne et logique.

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