lundi 28 avril 2014

Joe (David Gordon Green)

Dès les premières secondes, on sait... Le monologue de Tye Sheridan (un talent pur, découvert dans Mud de Jeff Nichols), cette musique incessante et belle, ce grain sudiste. Il parle et met en garde un père impassible, pour ne pas dire indifférent. Le vieux a merdé, encore une fois. Autre ville, même histoire. Mais là, c'est écrit, il va payer... Une torgnole au gosse, juste parce qu'il a raison. Puis les vrais coups, là-haut, entre hommes. Une scène d'ouverture magistrale qui pose tout : le décor (Texas crasseux et chaud), le thème et l'ambiance. Gravée.

Nicolas Cage campe Joe, un ancien taulard au sang chaud dont la seule priorité aujourd'hui est de ne plus faire de vagues. Il croit à sa deuxième vie, quitte à la vivre à moitié (pas d'engagement amoureux, beaucoup d'alcool et d'auto-contrôle). Malgré ses deux ans de prison, le mec est apprécié et connu. Ses employés l'estiment et lui reconnaissent de belles qualités, et notamment sa grande loyauté. Il est abîmé, brouillon, violent mais bon. Si bien que lorsqu'il voit débarquer le jeune Gary Jones (Tye Sheridan), droit dans ses bottes et motivé, il lui donne du travail. Il ira même jusqu'à accepter le père du jeune garçon, lui aussi sans emploi. Un essai non concluant...
Car, s'ils sont père et fils, ils n'ont quasiment rien en commun, juste une famille de naufragés. Le plus vieux a renoncé. Il boit depuis un bail, tout et n'importe quoi, tant que ça pique. Il met quelques trempes aussi, à son fils justement, entre mecs quoi. La mère a sombré elle aussi, sans doute par ricochet. Reste la fille, qui ne dit plus un mot depuis des années, va savoir pourquoi... Au milieu, Gary, seulement 15 ans, surnage et tente de tenir l'ensemble à bout de bras, comme un grand. Il se bouge, cherche du boulot, tente quelque chose. Il aime sa mère, il aime sa sœur. Il tolère son père, au moins par principe. Il a quelques valeurs, celles qui font des gentils des faibles, ou qui leur explosent à la figure par moments, comme dans cette scène dans laquelle un dégénéré le chauffe sur un pont sans raison : il laisse couler, une fois, puis le démolit. Une scène de purge, de compensation évidente. On jubile, pris dans un puissant torrent.


Gary et Joe ont ça en commun. Ils encaissent et se battent. Ils veulent être bons mais ne sont pas vraiment aidés. Ils ont besoin l'un de l'autre. L'un cherche un père dont il n'aurait pas honte, et qui jouerait son rôle, fiable et droit. L'autre a besoin de rédemption, d'une cause, d'actes et d'optimisme. Il croit en la bonté du gamin et revoit le gosse qu'il était il y a trente ans, avant de basculer de l'autre côté.
Un lien se crée naturellement. Ils se trouvent et s'épaulent. Gary aide Joe à retrouver son chien au terme d'un après-midi alcoolisé fort en émotions (de magnifiques passages). Joe le soutient, le freine, le préserve de sa colère légitime. Ils se comprennent. Ils feront un petit bout de chemin ensemble, juste le temps d'arranger les choses à leur façon, avec cœur.


Les scènes magiques s'enchaînent. Parfois touchantes, comme lorsque Gary frappe à la porte de Joe en toute fin de parcours. Parfois violentes mais jubilatoires (le combat de chiens, la scène du pont, le bar). Je découvre littéralement Nicolas Cage, je raffole déjà de Tye Sheridan.
On pense à Mud, à Killer Joe, à tous ces films du Sud qui abordent ces questions d'héritage, d'alcoolisme et de transmission avec finesse et talent, sans avoir peur de la crasse. C'est fort, c'est beau, ça touche, ça parle. C'est le cinéma que j'aime.

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