mercredi 7 mai 2014

Bullhead (Michael R. Roskam)

D'abord une voix-off qui, mine de rien, dicte le message (voire la trame) du film. Trop impersonnelle, on l'oubliera vite. Puis, la première vraie scène. Rythmée, fluide, entraînante; le film est lancé, un peu à l'image de Drive de Refn. Jacky (Matthias Schoenaerts), éleveur simplet plus ou moins affilié à "la mafia des hormones", débarque chez l'un de ses bons clients. Il est là pour recadrer le bonhomme, un "fou furieux" bien décidé à changer de fournisseur. Au lieu de ça, il recevra trois gifles et le droit de fermer sa gueule, le tarif minimum pour un premier bon coup de pression.

Il est comme ça Jacky, c'est un sanguin. Dès les premiers instants, on le sent imprévisible, chaud, primaire. Il est flamand et bosse en famille. Une famille d'engraisseurs qui a choisi la facilité et la rentabilité depuis longtemps. Ils dopent les animaux aux hormones, et ils font ça sérieusement. L'associé de Jacky, un vétérinaire corrompu (un pléonasme, dans le film), fait figure d'allié parfait. Un billet par ci, un billet par là, quelques trempes aux grandes gueules, et le tour est joué. Un business qui rapporte pas mal. Petite particularité de Jacky : lui aussi se dope, et ce depuis vingt ans. On en connaîtra la raison peu après, lorsque, dans le cadre d'une réunion d'affaires importante organisée avec les pontes du secteur, il recroisera la route de son ami d'enfance, Diederik, perdu de vue depuis le drame.

Diederik
Diederik est proche des ces intouchables. C'est un homme de main qui, en réalité, rencarde les flics. Le revoir sera un choc pour Jacky. Il était là ce jour là, lorsque tout est arrivé, quand sa vie a basculé, il y a vingt ans. Diederik fut en effet témoin de l'agression dont il fut victime. À l'époque, trop petit et trop faible, il n'avait rien pu faire pour son ami. Un drame d'une violence folle, au terme duquel le petit Jacky, si innocent à l'époque, perdra une partie de sa virilité. Des souvenirs douloureux qui, à travers un regard, refont surface et bousculent littéralement ce colosse. Il vacille... Matthias Schoenaerts bouillonne, devient Jacky, et lui donne toute sa dimension. Une prestation monumentale. Un choc.


À partir de là, il n'est effectivement plus le même. Il s'effrite. On le découvre faible, timide et sans assurance, notamment avec les quelques femmes qu'il ose regarder. Il subit sa défaillance. Il fait avec depuis toujours. Il survit, en silence, avec ses bêtes et les doses quotidiennes de testostérones qu'il s'injecte. Autrefois mignon, curieux et plein de vie, il n'est plus qu'un marginal aux gros bras. C'est un pantin. Il ressemble à l'idiot du village dont tout le monde connaît l'histoire, et dont le seul avantage serait sa masse corporelle impressionnante (il a pris 27 kilos pour le rôle). Il se protège, s'est forgé une armure. Il compense son handicap et son appréhension, comme il peut.


Mais ce n'est pas suffisant... On le voit hésitant, constamment pris dans l'urgence émotionnelle, il panique vite, et se calme souvent avec ses poings. C'est une brute, un taureau, un animal torturé, blessé, qui a intériorisé son mal toute sa vie. C'est resté un gamin qui, au fond, n'aura jamais quitté ce terrain vague...
Quand, face aux vaches, il se confie finalement à Diederik, il lâche tout. Il regrette sa vie, il se sent différent, inadapté. Il aurait préféré une femme et un fils à ses vaches, mais n'a pas vraiment eu le choix. Il a du faire sans tendresse, sans chaleur. Ce traumatisme ne l'aura jamais lâché; son père non plus d'ailleurs. Une vie biaisée d'entrée.
 
La Belle
La Bête
Le film est dur, noir, froid et sale. Il nécessite une certaine concentration, et notamment au début, lorsque les différents éléments de l'intrigue sont dévoilés. Jacky prend beaucoup de place. On ne pense qu'à lui, on ne veut que lui. C'est une bête attachante. Une sorte de Quasimodo énervé : la scène à l'hôpital psychiatrique, lors de laquelle il fait face au malade mental qui changea sa vie, est magistrale. On sait qu'il est nocif, on sait qu'il dope les bêtes, mais peu importe. Il nous touche avec ses faiblesses, son histoire, sa fragilité. On le suit lorsqu'il fait la cour à sa  belle de toujours; on le soutient, on est avec lui, tout près, on aimerait tellement pouvoir l'aider.
Un film puissant, utile et beau.




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