lundi 12 mai 2014

Pas son Genre (Lucas Belvaux)

Il s'appelle Clément et enseigne la philosophie à Paris, une ville à laquelle il est profondément attaché. Il est bel homme, lit de beaux livres, réfléchit, s'interroge, et met constamment les choses en perspective. Il relativise tout et n'importe quoi, à commencer par l'amour et les sentiments. Bref, c'est un triste par principe (ou parce que c'est cool) qui, comme le suggère la première scène, ne s'engage pas. Et pour finir, à l'image de ses parents, le mec est un peu chiant.

Puni par le Bon Dieu des Bobos, il est muté à Arras, dans le Pas-de-Calais. Changement de décor, changement de vie, bienvenue chez les ch'tis. Là-bas, il croise Jennifer (Émilie Dequenne), une coiffeuse joviale et souriante. Elle élève seule son fils. Elle est belle, pas de doute là-dessus. Par contre, elle manque un peu de classe, c'est vrai : fausse blonde, son fils s'appelle Dylan, paillettes sur les épaules, fard à paupières dégueulasse, tenues frou frou, le Closer dans le sac à main, et j'en passe.
Le temps d'une coupe, il ne la calculera même pas, c'est tout juste s'il daignera répondre à ses questions pratiques. Et puis, une fois dehors, il s'arrête, se retourne, hésite, puis reprend son chemin. Il a tiqué, quelque chose l'a touché, malgré lui, malgré tout. On ne sait pas pourquoi, et lui non plus apparemment. Il est curieux. Il reviendra, plus ouvert cette fois-ci.


Il la drague, elle est réceptive (de très bons passages). Une rencontre improbable, un couple que tout oppose. Deux extrêmes réunis dans un seul et même bateau. Lucas Belvaux insiste sur leurs différences (de milieu, de caractère, de philosophie de la vie). Clément pense tout le temps, analyse. Il sourit quand c'est nécessaire (pour séduire ou quand il juge par exemple). Il semble se croire supérieur à la masse. Il juge beaucoup. Jennifer pense un peu, mais elle parle surtout. Elle est expansive et chime pas mal. Tout est question de plaisir et de bons moments (on l'imagine bien utiliser l'expression "que du bonheur"). Elle sourit parce qu'elle est heureuse, et peut-être un brin naïve aussi.


Mais elle n'est pas idiote pour autant. On n'y pense jamais d'ailleurs. Elle est pragmatique et sensée. Elle est simple, efficace et ne se laisse pas miner, même par un théoricien de la tristesse. Elle le bouscule, le confronte, lui et ses grands auteurs. Et on ne peut que l'encourager, tant le bonhomme fait faux et distant. Il est là en effet, avec elle, mais on ne peut s'empêcher de relativiser leur relation. Est-il près d'elle parce qu'il s'ennuie chez les bouseux? L'écrivain voit-il en "Djennifeur" un bon sujet d'étude? N'est-il attiré que par ses beaux traits et le côté dépaysant de cette relation? Qu'attend-il au fond? L'aime-t-il et, si c'est le cas, pourquoi ne lui dit-il pas alors qu'elle, le crie sur les toits? Que nous réserve l'auteur?
Elle voit tout ça, elle le sent, mais s'accroche désespérément à quelques rêves de princesse ainsi qu'à ce lien qui les unit et qu'on ne saurait nier. Mais celui-ci, même réel, est-il plus fort que l'habitus d'un philosophe aussi hermétique à tout engagement?


Un film intéressant, bien mené et assez frais, même s'il aurait pu s'achever quelques minutes plus tôt, au terme d'un I Will Survive revitalisé par Émilie Dequenne (un souvenir comparable à la reprise d'Everytime par James Franco dans Spring Breakers). On peut aussi regretter quelques dialogues un peu surfaits qui font clairement tâches à côté de belles scènes sincères comme celle dans laquelle Clément (Loïc Corbery) accompagne Jennifer au karaoké (sa gêne et l'ambiance m'ont conquis). Clément, un personnage, par ailleurs, un peu trop dans l'excès, si bien qu'on a du mal à l'apprécier. Il est faux, condescendant (souvent) et globalement maladroit. C'est un con. Surtout lorsqu'on le compare au personnage de Jennifer, sublimé (peut-être trop même) par Émilie Dequenne, une actrice impliquée et décidément pétrie de talent. Chaque rôle est une découverte, et la preuve qu'elle est l'une, sinon la meilleure de sa génération. Un sourire, une voix, une attitude; le tout au service du film et de son auteur. La voir chanter dans un karaoké est un pur plaisir, la voir pleurer est un déchirement. Elle est intelligente et pleine d'émotions. La vraie bonne raison d'aller voir ce film.


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