dimanche 4 mai 2014

Trust (David Schwimmer)

Annie est une adolescente de 14 ans comme les autres. Elle voit son corps changer (trop lentement, trop bizarrement), commence à s'intéresser aux garçons, au sexe, et même à sa popularité. Elle est influençable, au point de ne pas choisir elle-même ses soutien-gorge. Elle est jeune, naïve et adore les réseaux sociaux. Elle y passe beaucoup de temps, à tchater avec ses amis, son frère, mais aussi avec quelques inconnus, dont Charlie, son nouveau chouchou.

Un contexte toutefois paisible, car innocent et a priori sécurisé. Les parents sont là, jamais loin; ils ont un œil sur tout, les enfants parlent et partagent avec eux; ils pensent contrôler. Après Peter, l'aîné, c'est au tour d'Annie de passer par ces étapes. Elle grandit, tranquillement, elle tchate; rien d'anormal. Ils iraient même jusqu'à s'en réjouir, car des enfants qui grandissent, c'est d'abord et avant tout la liberté qui approche....
Pendant ce temps là, Charlie et Annie échangent beaucoup, apprennent à se connaître, puis tombent amoureux, comme ça. Deux mois intenses auront suffi. Désormais, Anne ne pense qu'à lui. Elle l'admire, lui et son regard amoureux.


Peu importe qu'il lui ait menti deux fois sur son âge en une semaine (il n'a plus 15, mais 25 ans); l'important, c'est ce qu'ils ont, ce qu'ils partagent. Il la comprend, et c'est bien le seul, surtout en ce moment. La rencontre, tant attendue par Annie, sera d'abord un choc visuel. Il n'a pas 25 ans. C'est même un papa, d'au moins 35 ans. Elle reste bouche bée, stoïque, limite bloquée, face à son amoureux virtuel; on la devine en ébullition et complètement paumée. Lui se justifie, tente de s'expliquer, met en avant leurs points communs et tout ce qu'ils ont partagé jusque là. Il appuie uniquement sur ce qui les a rapproché, comme pour reconquérir une de ses ex. On la sent hésitante, perdue, mais pas définitive pour autant. Apparemment, le message est passé. Ils vont boire un verre. Première manche : Charlie. Il continue son petit argumentaire. Il l'écoute, s'intéresse à elle, à son discours, à sa vision des choses, la flatte, la rassure sur tout (son intelligence, son physique, sa maturité), comme en ligne. Encore une fois, elle mord. Ils vont à l'hôtel, comme il l'avait prévu. Elle commence par essayer la lingerie qu'il lui a apportée (bien vu). Vue d'ici, elle est maigre, sans formes, on ne pense qu'à l'enfant. Mais lui, intéressé et pragmatique, la traite comme une femme et, globalement, lui dit ce qu'elle veut entendre. Il est intelligent et sait y faire. Il couche avec elle et filme le tout, discrètement, pendant qu'elle fixe la tapisserie. C'est un pervers et il remporte le match haut la main.

des séances chez la psy très réussies
Le film ne s'attarde pas sur la partie enquête de l'histoire (perdue d'avance). Ici, il s'agit plutôt d'analyser ce ce qui se passe dans la tête d'Annie : avant (le pouvoir de la société de consommation, le concept de popularité à l'école), pendant (déni psychologique) et après l'agression (dissonance cognitive, fierté).

L'idée est de comprendre pourquoi et comment ce genre de choses peut arriver.
David Schwimmer, évidemment, pointe les réseaux sociaux et l'anonymat dont peuvent bénéficier certains individus mal intentionnés. Mais il ne s'arrête pas là... Il aborde en effet d'autres points, sans doute plus essentiels, comme la maturité fictive, fantasmée, et surtout provoquée des jeunes adolescents. La télévision, la presse et les gens simples considèrent désormais ces derniers comme des adultes précoces, qui s'habillent, qui pensent et qui parlent comme tels. Les nouvelles générations seraient en avance sur les précédentes. Elles vivraient et découvriraient les choses de la vie plus tôt et plus facilement. Bien sûr, cela sous-entend un marché et des profits. La pub en rajoute. On les montre minces et dénudés. On crée des modèles, mais surtout des complexes. Comme un cercle vicieux dont on ne connaîtrait pas vraiment l'origine. En tout cas, la société de consommation a clairement fait son choix : le jeune est beau, sexué, léger, et aguicheur; c'est un adulte dévergondé. Faute grave, sans doute à la base du naufrage.

Le film montre ça, la fragilité des mineurs, et notamment des ados. Ils avancent à l'aveugle, dans leur bulle. Ils luttent contre le rythme (trop lent) de la vie. Ils évoluent, se battent avec leur physique, découvrent l'amour, les sentiments, les échecs. Sans recul, sans perspective, sans point de comparaison : ils sont vulnérables et sans défense(s). On peut jouer avec eux, les orienter, en profiter, les berner. Des proies faciles pour certains.


Schwimmer insiste aussi sur le concept de fierté. Annie, en effet, maintient : elle était consentante et consciente. Foutaises : elle refoule tout. Elle s'interdit juste de le blâmer. Logique car, d'une certaine façon, ce serait reconnaître sa propre naïveté et avouer qu'elle a été faible et influençable. Alors, elle ira jusqu'à le défendre et donnera ainsi du sens à ses actes (dissonance cognitive de Festinger, un classique). Comme son agresseur, elle mettra l'amour au centre et oubliera le détachement (comme une solution intermédiaire : entre le refus et la jouissance) avec lequel elle a vécu l'acte. Elle repousse ses parents, qu'elle est obligée de juger déconnectés (c’est le cas de le dire) et primaires.

Des parents désarmés, pris en otage, victimes par ricochet (la scène à l'hôpital est bouleversante, ne serait-ce que par pure empathie). Des parents d'abord choqués par l'attitude de leur fille : pourquoi le défend-elle? Puis outrés, lorsqu'ils découvrent les messages échangés avant l'agression. Ils tombent de haut : Annie est capable de s'exprimer "comme une actrice porno". Ils auraient tellement voulu être là et empêcher tout ça. Ils se sentent coupables de n'avoir rien vu. On les comprend. Ils réagissent après coup, sont en colère, voudraient pouvoir tout effacer, quitte à massacrer un mec pour ça. Ils sont dans l'erreur, surtout le père (Clive Owen rappelle le personnage de Hugh Jackman dans Prisoners). Le plus urgent est bien ce qu'il se passe dans la tête de leur fille, loin devant la vengeance.


Elle, intériorise, s'isole. Au fond, elle a "seulement" besoin d'une preuve concrète, quelque chose qui lui permettrait de se désolidariser de son agresseur (qui la qualifiait de spéciale, d'unique) et de vivre ce viol normalement, comme une victime.

Un film important et intelligent, malgré quelques maladresses.

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