mardi 3 juin 2014

Deux Jours, Une Nuit (Jean-Pierre Dardenne, Luc Dardenne)

Sandra (Marion Cotillard) sort de dépression. Pendant quelques mois, elle a mis de côté son travail, sa famille, sa vie. Elle a survécu, pris pas mal de cachets et s'est reposée. Elle a beaucoup dormi. Maintenant, les docteurs la disent guérie, mais toujours un peu sensible. Elle revient doucement. Son arrêt maladie prend fin, elle a prévu de reprendre le travail le plus vite possible, pour retrouver ses collègues et une occupation. Sans doute l'une des dernières étapes d'une reconstruction qu'on devine en bonne voie.

Malheureusement, en son absence, le monde ne s'est pas arrêté de tourner. Les ouvriers, ses collègues, ont continué de bosser. On leur en a demandé davantage, car il fallait compenser. Ils ont trimé et fait pas mal d'heures supplémentaires. Au final, la maison a bien tourné, aussi bien qu'avant le départ de Sandra. Ils se sont adaptés, impliqués, et auront droit à une belle prime.

On leur dit qu'ils ont droit à cette prime, qu'ils la méritent et qu'il ne s'agit là que d'une juste récompense. Travailler plus pour gagner plus.
Mais le patron, un gestionnaire dans l'air du temps, veut joindre l'utile à l'agréable et décide de conditionner la prime à la non réintégration de Sandra. Une déduction simple, court-termiste et anti-sociale. Oui, mais surtout très peu crédible (droit du travail, un patron bien trop machiavélique et malveillant).
Bref, passons. Sans états d'âme, la direction demande clairement aux ouvriers de choisir entre leur prime (qui peut aller jusqu'à mille euros) et une vague collègue dépressive, qu'ils ont déjà quasiment tous oubliée de toute façon. Ils sont orientés, intimidés et mis en condition. Ils n'ont pas vraiment eu le choix, ni le recul nécessaire. Encouragés, ils ont agi simplement et rationnellement. La tête baissée, les yeux fermés. Le cerveau éteint, le cœur aussi.
Le résultat est sans appel, on a même frôlé l'unanimité.

Sandra est prévenue après coup, par une collègue, qui est aussi son amie. Elle s’effondre. Elle fuit, ne veut voir personne. Elle souhaite qu'on laisse tranquille et veut juste dormir, comme avant. Car elle sait que là, dans ce lit, les yeux fermés, la tête ailleurs, elle a une petite chance que le temps passe vite. Elle voudrait mourir.


Son mari, qu'on plaint beaucoup, est un modèle de patience. Il ne la lâche pas. Il la bouge et l'encourage vivement à ne pas se laisser abattre. Il ne veut pas qu'elle dorme.
Habilement manipulée par son amie, elle part voir son patron pour obtenir une explication. Bien que désagréable et sec (posture de la rupture réfléchie et intégrée), il entend les arguments des deux femmes (vote biaisé, pressions exercées sur les votants par le contre-maître) et accepte l'idée d'un nouveau vote. Il aura lieu lundi matin, avant la reprise. Sandra a donc deux jours et une nuit pour aller voir chacun de ses seize collègues pour tenter de les convaincre de renoncer à leur prime. C'est le projet de ses proches, en tout cas.

Évidemment, le film est répétitif. Il rappelle ces longs week-ends pendant lesquels, enfants soumis, on allait sonner aux portes d'inconnus pour leur vendre ces satanés tickets de tombola. C'était gênant, on n'était pas toujours bien reçus. On savait qu'on dérangeait au moins un peu, on entendait les souffles, on voyait leurs yeux et devinaient leurs pensées, même à cet âge.
La différence ici, c'est que Sandra connaît les gens qu'elle dérange et sait ce qu'elle leur demande. Le préjudice ne se limite pas en effet à quelques pièces de monnaie. Elle quémande, gratte un sacrifice. Elle compte sur son pouvoir de persuasion, sur le caractère engageant de l'entrevue. Ils ne sont plus seuls face à leur bulletin de vote avec le vague souvenir d'une ancienne collègue devenue inutile. Ils sont face à elle, ils doivent l'écouter parler. Ils n'aiment pas ça. La plupart d'entre eux auraient aimé que cette histoire s'arrête vendredi, après le premier vote. Ils le pensaient, en réalité. C'était plus confortable.


Elle en voit des vertes et des pas mûres : des agressifs, des cons, des secs, des gênés, des castrés, des émotifs. Elle saute de fleur en fleur et prend de belles claques. Elle s'effondre, se relève, rechute, selon les collègues. Elle ne pense qu'à abandonner. Ce serait facile. Elle arrêterait de mendier et de déranger. Tout le monde serait content. Mais elle est bien entourée. On la pousse.

Contrairement aux apparences, les frères Dardenne, je trouve, ont choisi un thème simple. Le scénario tient sur dix lignes. Néanmoins, ils l'ont traité rigoureusement. C'est très complet. Pendant le film, on se pose des questions car on se met à la place de cette pauvre fille. On pense aux conséquences plus ou moins lointaines de sa démarche et de son culot plus ou moins naturel, si tant est qu'elle réussisse, bien entendu. Le regard des gens, leurs regrets, leur frustration. On l'imagine cohabiter avec ceux qui n'avaient pas voté pour qu'elle reste et qu'on a, du coup, amputés de quelques centaines d'euros.
Tout cela est envisagé par les auteurs, rien n'est oublié. On a fait le tour du sujet, délicatement et avec sérieux. Marion Cotillard, moche, fait ce qu'elle sait faire, c'est-à-dire pleurer. Elle est maigre, mal foutue; elle est dedans. Le film est joli, bien fait, plutôt sincère et réaliste, mais manque de belles scènes et d'émotion. Juste ce sourire, enfin lâché, dans la voiture, la musique à fond. Un beau contraste. Allez, c'est déjà pas mal.

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